Du béton, du béton … !
Il faut changer de focale : Réduire l’impact environnemental du béton commence par une autre façon de penser l’urbanisme, en réhabilitant davantage qu’en bâtissant du neuf.
Le groupe Lafarge y a été pris en flagrant délit de pollution, déversant dans le fleuve des particules de ciment entre autres déchets, mais combien d’autres sites font de même en tout impunité ?
L’affaire a été révélée cette semaine par Europe 1, mais était dénoncée depuis déjà quelques mois par les élus LFI de la capitale,
Le béton de ciment est aujourd’hui le matériau le plus utilisé dans le monde, à raison d’une tonne par an et par personne.
Il est partout : dans les grands ensembles, les quartiers résidentiels, les parkings, les ponts, les barrages, les autoroutes, les centrales
C’est ce qu’on apprend à la lecture d’un rapport publié au printemps dernier par le think tank La fabrique écologique, consacré aux enjeux environnementaux de ce matériau, dont la France produit chaque année 39 millions de m3.
Une production responsable à elle seule de 2,6 % des émissions nationales de CO2
Le secteur du bâtiment dans son ensemble serait d’ailleurs à l’origine de 30 % des émissions en France.
Aujourd’hui le béton de ciment est le matériau le plus utilisé dans le monde avec l’équivalent d’une tonne par an par personne. Associé à une urbanisation exponentielle, il est considéré comme étant le plus rentable et le plus facile à utiliser. Derrière l’Allemagne, la France est le deuxième producteur de béton de ciment prêt à l’emploi en Europe.
Par comparaison selon une étude de la « United States Géological Survey » la Chine aurait produit 2 400 000 millions de tonnes de béton en 2017, soit quasiment 700 000 millions de tonnes de plus que le reste du monde (Inde 270 000 millions, E.U d’Amérique 86 300 millions).
Symbole de l’artificialisation des terres et de la densification urbaine pour les uns, de la mondialisation pour les autres, le béton de ciment cristallise les tensions. Davantage que son mode de production c’est la massification de son emploi qui soulève de nombreuses questions autour de l’extraction des ressources que cela suppose et de l’impact carbone inhérent à son utilisation.
Ainsi chaque année, la seule production de béton (tout usage confondu) nécessite près d’un dixième des ressources en eau du secteur industriel, alors même que les phénomènes de stress hydriques sont amenés à se multiplier à l’avenir.
Ce n’est pas le seul impact environnemental dont le béton est rendu responsable
Pour le fabriquer, il faut de l’eau, beaucoup d’eau, et du sable, énormément de sable.
En 30 ans, note l’auteur du rapport, la demande mondiale a augmenté de 360 %, un processus d’extraction massive d’autant plus problématique que : «le sable est une ressource non renouvelable ».
Ajoutons à cela
l’artificialisation des sols,
les impacts sur la biodiversité,
les nuisances pour les riverains,
la pollution,
le bruit : les usines de fabrication sont proches des zones de construction, donc souvent en milieu urbain, dense en population.
L’abondance et le bas coût de sa production ont ancré le réflexe de la construction neuve au détriment de la rénovation ou la réhabilitation d’habitats existants.
Des alternatives telles que le bois, la terre crue ou d’autres matériaux en fibres végétales bio-sourcés * sont en vogue et la loi de transition énergétique de 2015 veut promouvoir leur développement du fait de leur capacité à stocker le carbone.
Ces matériaux sont la base de nombreuses expérimentations qui s’inspirent à la fois de savoirs ancestraux mais aussi d’ingénierie moderne. Ils invitent par ailleurs à reconsidérer une approche plus locale des ressources, du fait de leur diversité, qui nécessite un savoir-faire ancré localement.
(Les prix des Fibra Awar illustrent l’ingéniosité des constructions à base de matériaux bio-sourcés https://www.fibra-award.org/?lang=fr : premier prix mondial des architectures contemporaines en fibres végétales)
Le bois, par exemple, dispose de propriétés écoresponsables adéquates pour la construction de plusieurs types de bâtiments. Son usage dans la construction est de plus en plus commun : en 2018 le chiffre d’affaires (1,9 Mds€) s’accroit de 13% par rapport à 2016 pour tous types d’usage. Matériau stockeur de carbone, produisant peu de déchets, des performances d’isolation thermiques et acoustiques remarquables et une régulation naturel de l’humidité, il constitue une alternative de substitution très crédible au béton de ciment. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, certains types de bois sont aussi résistants au feu.
D’autres acteurs du bâtiment prônent aussi l’usage de matériaux géo-sourcés tel que la terre crue. Historiquement, ce matériau est l’un des plus anciens et répandus au monde. Son abondance et sa recyclabilité infinie en fait un des matériaux les plus écoresponsables. Certaines limites comme sa sensibilité à l’eau peuvent être problématiques, mais elle est utilisée depuis des siècles pour des architectures monumentales.
Le développement de ces alternatives suppose des investissements très importants. L’enjeu ne saurait se réduire au seul choix des matériaux mais suppose des transformations dans nos manières de penser, de construire et de transformer nos lieux de vie et de travail. L’ensemble des acteurs concernés, des citoyens, aux entreprises en passant par les architectes et les urbanistes et les acteurs publics qui devraient interagir dans ce sens.
L’architecte Philippe Madec illustre parfaitement cette philosophie : « Construire durable, c’est aussi savoir de ne pas construire. Le principal enjeu, c’est d’arrêter de détruire, pour plutôt réhabiliter massivement le monde déjà là. ». Une vision que défend le manifeste « pour une frugalité heureuse et créative », signé aujourd’hui par plus de 8000 professionnels.
Dans un premier temps réduire l’impact environnemental du béton commence par une autre façon de penser l’urbanisme, en réhabilitant davantage qu’en bâtissant du neuf.
*« les matériaux bio-sourcés sont issus de la matière organique renouvelable (biomasse), d’origine végétale ou animale. La nature de ces matériaux est multiple : bois, chanvre, paille, ouate de cellulose, textiles recyclés, balles de céréales, miscanthus, liège, lin, chaume, etc »
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